jeudi 7 février 2008

Le texte de Pierre Wat sur l'exposition Sextet

Sextet

Sextet : se dit d’une formation comprenant six membres. Ce mot, qui est communément appliqué au domaine musical, notamment aux formations de jazz vocal ou instrumental, peut s’appliquer à toute situation où six personnes ou bien encore six objets en relations sont considérés comme constituant une entité. Dans un sextet de jazz, on trouve en général un batteur, un bassiste, un pianiste, et diverses combinaisons parmi les instruments suivants : guitare, trompette, saxophone, clarinette, trombone. Sextet : nom donné par Pierre Buraglio – dont le goût pour le jazz n’est plus à démontrer – à une exposition de groupe dont il a choisi les participants. Arthur Aillaud, Marie-Claude Bugeaud, Michel Duport, Guy de Malherbe, Mikko Paakkola, et lui-même. Qui joue de la basse, qui joue du piano..? Y a-t-il un clarinettiste ? On pourrait s’amuser à répondre, bien sûr, mais ça serait faire fausse route, car ici, pas de rôle figé, pas de hiérarchie, mais une entité dont l’harmonie réside sur la réunion d’alter ego. Chacun selon son instrument, répond, improvise, réagit, reprend, et fait son solo. Arthur Aillaud peint d'étranges paysages hantés de constructions dont on ne sait si elles sont en cours d'élévation ou de destruction. Marie-Claude Bugeaud dessine au pinceau comme on pourrait le faire avec des ciseaux. Art de l'incision autant que de la couleur, tandis que Michel Duport, dans ses volumes peints, trouve une autre manière de continuer à faire de la peinture, sans rejouer l'histoire du tableau. Guy de Malherbe, quant à lui, poursuit son travail sur les Dormeuses, figures entre rêve et chute dont la mélancolie même est une façon de dire ce que peut être la peinture. Mikko Paakkola interroge la tradition de la grande peinture : cette question du paysage qui, chez lui, devient surface tellurique, rude peinture pour dire la force du monde. Et Pierre Buraglio...Il peint. Autrement dit il approfondit sa recherche d'une peinture possible : un art qui se constitue avec et contre les moyens de la tradition, un art qui affronte le passé, violemment et amoureusement, pour revisiter ce que celui-ci propose aux artistes : paysages, figures... Quels rapports, entre ces six-là ? En quoi font-ils entité ? Rien de plus dissemblable, visuellement, que Malherbe et Bugeaud, Duport et Paakkola. Pourtant il y a bien des liens entre tout cela. Au moins deux. Cette façon impure d'utiliser le médium (Bugeaud), cette manière de revisiter l'histoire de la peinture pour en livrer une version où la figure est hantée de doutes sur sa propre existence (Aillaud, Buraglio, Malherbe), ce rapport sensuel à la matière picturale qui est comme la chair du monde (Paakkola), et puis cette réfutation en acte de l'autonomie de la peinture au profit d'un jeu avec le mur, d'une porosité entre l'oeuvre et son lieu (Duport)...tout cela est lié. Car ce sont, chacun selon son inclinaison, autant de critiques (parfois violentes, parfois murmurées) du vieux dogme moderniste de la peinture comme art pur, du tableau comme oeuvre intransitive, vouée à son auto-affirmation. Voilà la musique que joue ce sextet : chacun à sa manière, chacun avec les cinq autres. Eh puis il y a un second lien. Celui, peut-être, qui dit le mieux le refus d'une pratique dont l'autonomie soit l'unique finalité. Ce lien, c'est celui qui, en jazz comme ailleurs, garantit le succès d’un sextet : l’envie de jouer ensemble.

Pierre Wat